Du fin fond de mon sommeil, j'entendais le réveil de mon père au son si caractéristique, de ces sons que vous reconnaissez comme des habitudes de vie. Le son des bons vieux petits réveils de voyage, vous savez, les carrés, blancs pour la plupart, avec le petit clapet dessus pour couper le "MUUUT-MUUUT-MUUUT-MUUUT" insidieux, avec les 2 éternelles minuscules molettes à l'arrière.
Je me retourne, enfoui dans dans un duvet épais de plûmes, de ceux qui parfois piquent et qui ne se font plus, plus épais que nous-mêmes. Je m'emmitoufle, me roule en boule, afin d'apprécier la chaleur de ce nid, entouré par la fraicheur du premier étage... Des bruits de lit, puis de pas, au dessus de moi, ne m'aident pas à me lever, bien au contraire, me bercent... Je me rendors...
"Allez debout Pépère... On s'prépare", c'est mon père qui me réveille, penché vers moi, au dessus de mon lit de grand-mère, tout en bois épais et immortel. J'ouvre péniblement les yeux, me rends compte que "la statue est toujours à la même place", et plus précisément, que je suis à Larcat. Je repousse la couette jusqu'à ma poitrine, et la remonte prestement, il fait toujours froid de si bonne heure, encore plus en montagne... "Je descends, tu nous rejoins ?" demande mon père. "Mouuuii.... Mais j'veux encore dormir..." El padre rigole, me secoue gentiment, et commence à descendre, laissant l'escalier de vieux bois fatigué pleurer sous son maigre poids...
Je me décide à me lever, me demandant quoi mettre en premier pour ne pas mourir de froid jusqu'à la salle de bain, et entame d'une marche dodelinante la montée vers le deuxième pour me préparer.
Une heure plus tard, les sacs sont prêts, nous aussi, il est l'heure de retrouver le reste de la troupe courageuse sur la place du village. Le clocher annonce sept heures tapantes. Un petit vent frais tente de défier le soleil déjà combattif, les marcheurs arrivants de chaque débouché de la placette. L'escouade, d'environ six montagnards, se sépare pour prendre deux voitures, afin de grimper jusqu'au Col d'Olan, point de départ de l'expédition.
Imaginez une petite plaine, remplie d'herbe uniquement défrichée par les vaches venues brouter et s'abreuver. Elles nous adressent un salut matinal, et retournent à leurs activités, sans plus s'occuper de nous. Chaque odeur, chaque chose rappelle alors la montagne, la rosée encore présente, les pissenlits semblant danser sous la brise, le tintement des cloches, le "Hé Aïdééé !" de Del Rizzo...
Chacun récupère son chargement, les uns se mettent en tête, prêts à gravir tout obstacle, les autres derrière, appréciant chaque parcelle de ce que leurs yeux prennent... Nous démarrons alors une marche d'environ six heures. Nous traversons différents aspects de ces Pyrénées que je passe mon temps à regretter, tantôt une sapinière, accrochée invariablement à la montagne, tantôt une forêt de chênes, hêtres et autres arbres à mousse, où nous nous empressons de partir en conquête de girolles ou cèpes. Une pêche miraculeuse, plus le temps de se relever pour continuer à en ramasser. J'en perds même mon Laguiole en étant acagnardé à un rocher pour trouver une nouvelle mine de champignons.
La montée se poursuit... Nous arrivons sur un tracé de chemin, entouré de fougères plus grandes que moi. Nous marchons en file indienne, jusqu'à ce que je dérape du chemin, et commence à entamer une descente giflante entre les fougères coupantes, je fini par me rattraper à l'une d'elle, qui doit toujours avoir en souvenir quelques bouts de ma peau. Remontée, et redépart, cette fois accroché à une bretelle du sac à dos de mon père...
La vue se dégage d'un seul coup, en repoussant une énorme fougère. Une plaine apparait alors, mais plus perverse que ce que j'avais cru en voir. Mes yeux ne restèrent pas longtemps à observer la montagne nous faisant face, mon pied ripant sur une touffe d'herbe et finissant vingt centimètres plus bas, dans... De l'eau ! Cette plaine n'était en fait qu'un somptueux marécage, non boueux, où s'écoulait une eau claire, mais marécage quand même... Mes deux chaussures trempées, la traversée dura vingt minutes, mais m'en parut bien plus, énervé par chaque dérapage dus à mes chaussures mouillées, me renvoyant chaque fois dans l'eau...
Nous y parvenons tout de même, finalement sans grande difficulté, et entamons la dernière grande montée, sur un sol cette fois très sec, entouré de petits conifères... Nous avançons, sans nous presser, grimpant mollement, les yeux perdus dans l'immensité magnifique...
Un bruit finit par se faire entendre, un léger tintement, qui se révèle être un ruisseau, où coule une eau dont la transparence ferait pâlir un parisien. C'est l'heure d'une halte, de LA halte ! Chacun dépose son sac, mon père dépose le sien à la débouchée du ruisseau, le plus délicatement possible, l'ouvre, en ressort des gobelets, et l'inestimable breuvage qu'est le Ricard, boisson obligatoire dans cette partie de la France. Chacun prend un verre que mon père remplit du liquide encore brillant, non dilué, tandis que je m'allonge à même le sol pour laper l'eau régénératrice... Je me relève, et vois mon père me regarder avec un étrange sourire, doux, affectueux, et défiant à la fois. Il prend un verre, y verse une larmichette ne dépassant pas plus de deux millimètres de hauteur, rigole, le rempli d'eau jusqu'à une bonne moitié de verre, me le tend, et me dis : "C'est pas tous les jours, prends-en pas l'habitude !". Tout le monde se tourne vers moi, d'un regard amusé, chacun a eu le temps de remplir d'eau fraiche et pure son gobelet, et tous trinquons. C'est là que j'ai découvert ce goût étrange, anisé, un goût de réglisse, de menthe presque, de fraicheur en tout cas, en parfait accord avec le décor nous entourant...
Nous reprenons ensuite la marche, évidemment sans rien laisser sur les lieux de notre arrêt, pour monter les cinq cents derniers mètres nous séparant du refuge de Tabanière, où la soirée se passa en chansons, oranges cuites au feu de bois, soupe brûlante, rires et histoires...
Tout ça manque d'image, mais j'espère que vous saurez les imaginer